
Dans le temps, le ghetto était considéré comme un espace où vit une communauté à l’écart du reste de la population avec des mœurs bien différentes. Avec le poids des années, cette appellation a connu de nombreux glissements de sens. Aujourd’hui, dans la société haïtienne, elle est perçue comme un lieu marqué par les stigmates de la précarité, la contrainte, l’insécurité, la violence et toutes sortes de blessures de l’âme qui s’extériorisent sur l’environnement immédiat. Regardez les graffitis hurlant sur les murs.
Les habitants de ces quartiers difficiles sont souvent victimes de stigmatisation et de discrimination. Ils sont généralement pointés du doigt en raison des qualificatifs négatifs qui planent au‑dessus de leur tête. Plusieurs de ces riverains sont repliés sur eux‑mêmes tandis que d’autres particulièrement les jeunes, inquiets pour leur avenir, souhaitent trouver des opportunités pouvant les aider à se démarquer du lot même si le chemin est loin d’être tracé en raison de leur provenance sociale.
« Vivre dans un ghetto quand on est jeune n’est pas chose facile, c’est comme subir un châtiment, être dans une prison dans laquelle on ne peut pas évoluer. Certaines fois, on aimerait bien participer à des activités nous permettant de renforcer notre capacité, comme des séances de formation, mais le poids de la stigmatisation et de la discrimination nous guette au quotidien », confie Kerline, une jeune fille de la rue des Remparts, un quartier de Bel‑Air qui surplombe le centre‑ville de Port‑au‑Prince. Originaire de la ville des Cayes, Kerline, 21 ans, habite la zone depuis sa tendre enfance avec son père et sa famille. Depuis environ deux ans, elle a laissé le toit familial pour vivre en concubinage avec le père de son bébé de 9 mois. La jeune femme considère la vie dans un ghetto comme un obstacle pour son avancement surtout sur le plan éducatif.
Assise sur une petite chaise en paille, tenant son enfant dans ses bras, l’air inquiet, elle se libère dans un flot de paroles : « Ici, c’est vraiment stressant et dangereux. A cause de la violence qui sévit dans la zone, la vie ne tient qu’à une f icelle. Sous nos yeux, on voit des jeunes, avec un avenir prometteur, se faire assassiner. Je vis avec la peur au ventre. J’aimerais sortir certaines fois, rencontrer des gens d’horizons divers, pouvoir m’épanouir et apprendre de nouvelles choses, mais comment m’y prendre si je n’ai pas les moyens économiques nécessaires sans oublier les tirs qui résonnent au quotidien. Si on arrive à se déplacer, avant de rentrer il faut préalablement téléphoner à quelqu’un pour être au courant des nouvelles. Sinon, on risque d’être victime ».
La barrière des stéréotypes

N'ayant pas pu continuer ses études secondaires à cause de sa grossesse, Kerline manifeste encore le désir d’enrichir ses connaissances. Aussi souhaite‑t‑elle participer à des séances de formation. Mais hélas, à cause de son origine sociale, l’accès lui est toujours refuser. « Je suis continuellement en quête de formation. Dès que je partage mon adresse avec les organisateurs de ces activités, ils me disent que c’est impossible d’y participer. Ça me fait mal, je qualifie cet acte d’inhumain. Les gens ont toujours cette perception : vivre dans un quartier défavorisé est synonyme de caïd ou être la femme de bandit. On ne devrait pas me coller des étiquettes parce que j’habite une localité. Il existe également des gens bien qui y demeurent et qui aimeraient déloger. Faute de moyens, ils sont encore cloîtrés ici. Je peux compter plusieurs jeunes de mon entourage qui ont décroché de nombreux diplômes. Ces papiers ne les servent à rien présentement en raison des stéréotypes. Sont‑ils des caïds ? Non, ils sont juste au mauvais endroit », se désole t‑elle.
Pour Kerline, les jeunes du ghetto sont des laissés‑pour‑compte. Abandonnés à leur triste sort. Personne ne se soucie vraiment d’eux. L’État est aux abonnés absents. Les bons samaritains qui manifestent un brin de volonté pour les aider, bien qu’ils soient minimes, ils ont peur des zones rouges. L’insécurité est une gangrène qui mine tout rapport humain en ce temps où la mort rôde dans la ville. Pour la Bel‑Airienne, leur salut passe par l’éducation. Qui viendra les retirer de cette misère crasseuse ?
Esperancia Jean Noel
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