Comme toute autre entité de la population clé, les professionnels du sexe (PS) sont souvent marginalisés. Avec la faiblesse de la législation haïtienne sur la pratique du métier, les associations de défense des droits interviennent pour protéger cette catégorie de professionnels. C’est le cas de solidarité féministe pour une nouvelle émergence (SOFENOE) qui travaille depuis 2015 avec les PS dans plusieurs régions du pays notamment dans le département de l’Ouest. Pour mieux comprendre le travail de la SOFENOE, la Revue ATTITUDE SANTE s’est entretenue avec Mme Louise Augusta Moise MILIEN, Présidente de cette association. Ses propos sont recueillis par la journaliste Marc-Kerley FONTAL.
Marc-Kerley FONTAL: Bonjour Mme MILIEN ! Je vous remercie d’avoir accepté de répondre à mes questions.
Louise Augusta M. MILIEN: Bonjour Marc-Kerley, tout le plaisir est nôtre à la SOFENOE !
MKF: Faites pour moi une brève présentation de la SOFENOE. Vous faites quoi comme activités ?
LAMM: La solidarité Féministe pour une Nouvelle Émergence (SOFENOE) a vu officiellement le jour le 30 mars 2015. Elle a pour objectif de diminuer le taux de violence sur les femmes plus précisément les Professionnelles du Sexe (PS).
Comme je l’ai dit, mon travail avec les PS a commencé 17 ans avant la fondation de la SOFENOE. J’ai toujours nourri l’idée d’apporter une touche importante à la lutte pour l’émancipation des femmes dans le pays. Et voilà comment est née cette association. Sept (7) ans plus tard, nous sommes présents dans les dix départements et notre association est affiliée aussi à une fédération comptant 22 organisations. Notre travail consiste à sensibiliser, mobiliser et réinsérer les femmes dans la société tant sur le point économique que social.
MKF: Depuis votre création à ce jour, quelle évolution connait l'association?
LAMM: Comme évolution, la SOFENOE est fière de constater les retombées positives de notre travail acharné. Aujourd’hui, les membres de notre association travaillent avec 15000 PS environ, un chiffre qui devrait augmenter dans les prochains jours.
Il y a aussi la Fédération que nous avons mise en place. La Fédération des organisations de défense des droits des femmes vulnérables (FODEROFEV). Reconnue par l’État Haïtien, elle regroupe des organisations qui militent pour le respect des droits des plus marginalisées. Elle permet aussi que notre voix aille plus loin dans les zones reculées, comme je vous l’ai dit tantôt; nous sommes dans les dix départements.
Et pour finir, comme le dit un vieil adage, « ventre affamé n’a point d’oreille », consciente de la situation économique difficile, la SOFENOE a accouché « SOFENOE Ecole professionnelle ». Créé le 4 juin 2022, elle a pour but de donner à ces femmes une arme technique pour qu’elles puissent s'en sortir. Parce que pour nous le Droit marche de pair avec l’autonomie économique.
MKF: si une PS est victime de violences, quels sont les recours?
LAMM: Quand elles sont victimes de violences, à la SOFENOE et à nos frais, on fait la prise en charge médicale, Juridique et psychologique.
Malheureusement, on n’obtient pas toujours les résultats voulus. Le système judiciaire haïtien avec toutes les faiblesses que vous connaissez, n’offre pas toutes les garanties pour assister cette catégorie de personnes. De ce fait, les résultats ne sont pas toujours satisfaisants considérant les grands défis auxquels fait face ce système judiciaire. Mais n’empêche que la SOFENOE continue de faire des recours pour toutes les PS victimes de violences au sein de la communauté.
MKF: A la SOFENOE, vous recevez beaucoup de plaintes? Quels sont les problèmes les courants auxquels les PS font face?
LAMM: Évidemment, Nous recevons beaucoup de plaintes. Les problèmes les plus courants des PS sont la discrimination, la stigmatisation, le manque de structure dans les lieux de travail mais particulièrement la violence que ce soit physique, verbale ou sexuelle.
Une anecdote, Tout près de chez moi, il y a une ambiance musicale nocturne (ti sourit, dans notre langage vernaculaire) qui se fait généralement tous les soirs. Et souvent, il y a une chanson qui est diffusée en boucle, je ne connais pas le chanteur. Je retiens à peine quelques mots « kenbe bouzen, mare bouzen, kraze bouzen ». Et les conséquences sont immédiates : Les PS subissent de mauvais sort comme des bastonnades, des injures provoquant des tapages de toutes sortes.
Coté santé, la situation n’est pas différente. Les conditions ne sont pas réunies et les espaces de travail ne sont pas adaptés. Les PS font aussi partie de la population clé donc elles sont très vulnérables au VIH. Si l’une d’entre elles est victime, elle ne peut pas se rendre librement dans un centre de santé pour se faire soigner par peur de subir de mauvais traitement. En somme, le plus gros poids de ces femmes c’est la violence.
MKF: Comment voyez-vous l'évolution du secteur en Haïti considérant que c'est un métier sous interdits juridiques?
LAMM: N'allons pas par quatre chemins ! Vous savez aussi bien que moi les bordels ont des permis de fonctionnement. Qui livre ces permis? Donc nous faisons face à une hypocrisie à nulle autre pareille.
En termes d’évolution, contrairement aux années précédentes, il y a des efforts qui sont faits mais ils ne sont pas considérables. A mon avis ils me paraissent très timides. Ç’est vrai que les PS connaissent mieux leurs droits et sont prêtes à porter plaintes en cas de violence à Port-au-Prince. Cependant, elles sont moins à l'aise à s’affirmer dans les régions reculées du pays. Cela dit, SOFENOE a encore du pain sur la planche.
MKF: ATTITUDE SANTE vous remercie !
LAMM : C’est à moi de vous remercier.
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